Réflexions autour des principes source: comment accueillir la source ?
Article 1/3 résumant "Un petit livre rouge sur la source" de Stefan Merckelbach
Au cours des dernières années, j’ai eu la chance participer, co-créer ou créer moi-même différents projets au croisement de la durabilité et du collaboratif: des projets associatifs (My Green Trip, futurs proches), des initiatives au sein d’entreprises (projet d’économie circulaire dans le luxe par exemple) ou la participation à des collectifs utilisant la sociocratie comme mode de gouvernance (codesign-it!).
Pour ceux dont j’ai été à l’initiative, ces projets grandissaient naturellement pour constituer souvent une petite équipe (5-7 personnes en général) voire un collectif plus grand comme c’est le cas pour futurs proches (60 personnes).
En tant qu’initiateur du projet, j’ai toujours eu de nombreuses réflexions sur le rôle du fondateur dans un projet qui se veut collaboratif. A ma (modeste) connaissance les nouveaux modèles de management et de gouvernance partagée éludent rapidement le rôle de l’initiateur pour se concentrer essentiellement sur celui du collectif et la façon dont les décisions se prennent en son sein. J’ai souvent ressenti un frottement, voire un manque de nuance à la lecture de ces modèles. Je ne trouvais que rarement des éclairages aux questions suivantes:
Quelle devrait-être la posture du fondateur d’un projet par rapport au collectif qui le rejoint ?
Quelle gouvernance collaborative adopter sans pour autant nier la légitimité (et l’autorité) du fondateur dans la réalisation du projet ?
Comment concilier vision du fondateur avec les visions des membres du collectif ?
Quelle place et autonomie laisser au collectif pour se saisir de certaines activités et les mener au bout sans pour autant que le fondateur reste sur tous les sujets ?
Comment motiver un groupe de personnes qui rejoignent un projet sans pour autant faire baisser l’énergie du fondateur lorsque les choses ne sont pas faites telles qu’il l’aurait fait ?
“Un petit livre rouge sur la source” répond à nombre de ces interrogations. Fait suffisamment rare pour le souligner, j’ai lu ce livre de management (qui ne se résume d’ailleurs pas qu’à cela) d’une traite et j’ai pu y connecter concrètement des expériences et interrogations personnelles. Tellement passionnant que j’ai voulu ici le résumer en extrayant selon moi les passages clefs, afin de partager les concepts clefs aux membres de futurs proches, mais aussi à tout autre futur collectif auquel je pourrai un jour contribuer.
Les principes source et le concept de personne source ont été développé dans les années 80 par Peter Koenig. Peter Koenig est une référence sur les questions de croyances autour de l'argent auxquelles il a consacré plusieurs années de sa vie. Au fil de ses rencontres, échanges et recherches sur la manière dont chacun gère ses projets, il découvre des principes communs qu’il structure peu à peu. Dans son livre, Stefan Merckelbach les présente sous la forme d’un livre, très digeste et agréable à lire qui se décompose en 3 parties:
Partie 1: accueillir la source
Partie 2: partager la source
Partie 3 : transmettre la source
Mon résumé sera ainsi divisé en 3 articles pour en faciliter la lecture et le partage.
Je remercie Stefan Merckelbach, l’auteur du livre, qui m’a autorisé à en faire un résumé en y ajoutant ma propre analyse tirée de mon expérience personnelle. A toutes les personnes qui liront ces lignes, je recommande d’acheter le livre qui est bien plus détaillé et qui apportera de nombreux éclairages plus précis. Voici le lien pour se le procurer: https://www.ordinata.ch/approches/un-petit-livre-rouge-sur-la-source
Bonne lecture.
Partie 1: accueillir la source
“La source désigne la personne qui prend une initiative sur la base d’une idée qu’elle s’est appropriée.”
Cette idée peut venir de la personne elle-même, d’une autre personne ou être dans l’air du temps. La personne source l’en a fait sienne, elle n’en est en rien propriétaire mais plutôt le dépositaire. A titre personnel, je me reconnais bien dans cette première définition. L’idée de mener des ateliers d’écriture sur des thématiques écologiques n’est en rien nouvelle ou même originale. L’origine de l’idée vient d’une conférence que j’ai pu visionner d’Arhur Keller qui invitait chacun à imaginer des nouveaux récits. De cette idée, une intuition est venue à moi, celle d’en faire un collectif d’animateurs d’ateliers d’écriture afin d’imaginer de multiples futurs désirables et lucides.
Le processus de naissance du projet vient avec un cadeau : l’énergie nécessaire à la prise d’initiative. A travers ce projet, l’engagement de la personne source est une expression authentique de sa liberté, de son pouvoir d’agir et de sa créativité. L’agir de la personne source est à la fois d’une grande force et d’une grande fragilité: une force en avant pour initier, entreprendre, achever son initiative, une fragilité car des circonstances souvent imprévisibles ne manqueront pas d’arriver, sans oublier les propres fragilités personnelles de la personne source dans l’exercice de son rôle de personne source.
Les trois rôles de la personne source
La personne source a trois principaux rôles :
Un rôle d'entrepreneur : elle reçoit des intuitions – des idées, une vision – et s'investit dans leur réalisation en prenant des initiatives et des risques.
Un rôle de guide : elle inscrit son initiative dans le futur en clarifiant et communiquant les prochains pas aux autres.
Un rôle de gardien : elle veille à ce le cadre de l’initiative, exprimé par des valeurs et une vision, soit respecté.
La personne source comme entrepreneur
Tout au long de la vie de son initiative, la personne source reçoit des idées, des intuitions, des inspirations et surtout reçoit l’énergie nécessaire pour les concrétiser. A cela s’ajoute nécessairement la prise de risque propre à tout entrepreneur. “En toute personne source sommeille un fou audacieux qui croit en son initiative avec une foi parfois même un peu au-delà du raisonnable.”. La prise de risque fait tellement partie de son rôle qu’une personne source qui n’en prendrait pas cesserait d’être une ressource pour son projet et deviendrait plutôt un frein. La prise de risque n’a pas de valeur en soi, mais elle est le pendant de la concrétisation d’intuitions pour aller explorer l’inconnu. En même temps, toute prise de risque est aussi l’expression de la confiance que la personne source pose dans son initiative.
Dans mon expérience personnelle, pour futurs proches, le premier risque pris était tout simplement que le premier atelier ne fonctionne pas et que mon égo puisse en prendre un coup. Risque modeste somme toute. Mais au fur et à mesure du temps, avec davantage de membres animateurs, de méthodes, d’ateliers, de partenaires, de clients … les risques augmentent (bien qu’ils soient tout de même relativement peu importants): le risque que les projets ne fonctionnent pas, que les membres se démotivent, que la lisibilité de l’initiative perde en clarté, que les participants trouvent notre concept nul, que nous nous dispersions …
La personne source comme guide
Le rôle de guide consiste à orienter l’ensemble des initiatives qui vont suivre le démarrage, au fil du temps, pour réaliser la vision du projet et assurer sa pérennité. Sa tâche dans ce rôle est double: clarifier quel est le prochain pas à faire, puis communiquer cette clarté à celles et ceux qui vont contribuer à sa réalisation.
Cette tâche n’est pas aisée (et à titre personnel, c’est en effet la plus complexe) car la personne source peut simplement ignorer quel est le prochain pas. Ainsi, paradoxalement à son rôle de guide, son état psychologique habituel est celui du doute. Elle peut hésiter, tergiverser, remettre en cause certaines décisions, être paralysée voir déprimée. Et en même temps, cela me semble normal car une personne source n’est pas un devin ou un startupper qui se la pète. C’est vous, c’est moi. Le principe socratique trouve ici une belle résonance: “La seule chose que je sais c’est que je ne sais rien”.
Dans ce doute permanent, la personne source a toutefois trois grandes ressources à sa disposition:
Ses intuitions, idées, inspirations qui arrivent tout au long de la vie du projet. Elles ne se commandent pas mais certaines conditions les facilitent (pause, états modifiés de conscience, silence …).
La réflexion en s’offrant du temps seul pour se connecter à son canal de source.
Le dialogue en bilatéral ou en groupe qui bénéficie d’un effet d’amplification grâce à l’intelligence collective.
Là encore, à titre personnel, ces trois éléments résonnent énormément en moi. Mes intuitions me guident à explorer des nouveaux thèmes d’ateliers, à contacter des partenaires spécifiques, à lancer des expérimentations (exemple récent: le lancement d’un podcast à partir de nos récits). La réflexion en solitaire m’a permis notamment de poser la nécessité d’ancrer une nouvelle gouvernance l’an dernier (je m’étais retiré 5 jours en forêt seul). Le dialogue avec certains membres en bilatéral me permet de tester des idées sans initier de consultation générale, et quand je sens (encore l’intuition) que c’est le bon moment de le partager plus largement, le processus en est grandement facilité.
La personne source comme gardien
Le rôle de gardien consiste à ce que la personne source assure que le projet, en se développant, ne perde pas son âme. L’âme du projet réside en:
Une vision sur le but à atteindre. Seule personne habilitée à changer la vision est en effet la personne source. Certes, elle peut recourir au dialogue pour clarifier ce changement, mais aucun intervenant dans le projet ne peut la contraindre à en changer la vision.
Les grandes étapes et les moyens pour parvenir à cette vision, qui vont évoluer avec le temps et la vie du projet.
Les valeurs, qui sont comme des balises du comportement pour les autres personnes du projet. L’auteur précise ici que bien souvent, ces valeurs, sont les valeurs personnelles de la personne source qu’elle a transféré dans son initiative. Même si celles-ci sont le résultat final d’un travail collaboratif, il est indispensable que la personne source y reconnaisse ses valeurs et qu’elle soit pleinement satisfaite du résultat. Pourquoi est ce important ? Car les personnes qui ont choisi de rejoindre le projet ont été attirées par deux choses: le projet en lui-même et les valeurs (implicites ou clairement énoncées) de la personne source.
Dans mon expérience personnelle, les précédentes lignes frottent un peu avec ma perception des nouveaux modèles de gouvernance partagée et dans le même temps me réconforte avec mon sentiment d’importance de la personne fondatrice d’une initiative. A la différence de ces modèles, les principes source donnent une place et une responsabilité très importante, voire plus importante, à l’initiateur du projet, davantage que dans les nouveaux modèles de gouvernance partagée, dans lesquels ce sujet est peu abordé.
Les 3 problèmes de la personne source
La personne source peut faire généralement face à trois grands problèmes qui risquent de causer la perte de l'initiative, appelées “pathologies”:
L’ignorant: méconnaître sa source
Le despote: confondre source et égo
Le mou: négliger le travail de source
L’ignorant est une source qui soit consciemment ou inconsciemment ne se reconnaît pas comme source, alors que le projet en a terriblement besoin. Cette posture peut laisser un vide de source.
Le despote se veut être “trop” source, c’est à dire se croit propriétaire et non dépositaire de son initiative. Cette personne gère son projet de façon autoritaire et se met constamment en avant. Paradoxalement, cette posture cache plutôt un manque de confiance en sa source et dans l’autorité naturelle de celle-ci. Une variante de cette maladie est celle de l’usurpateur de source, une personne qui cherche à être source à la place de la personne source du projet. Cette variante n’est possible que par le vide de source laissé par une personne source souffrant de la maladie de l’ignorant.
La pathologie du mou concerne des personnes qui se reconnaissent source, mais qui ne passent pas de cette reconnaissance à l’action, pour quelque raison que ce soit. Elles négligent le travail de source, ce qui crée également un manque (comme pour la pathologie de l’ignorant).
En étant ignorant, despote ou mou, la personne source ne va pas se montrer à la hauteur de l'initiative et risque de la voir disparaître, faute d'avoir bien incarné ses trois rôles. Se reconnaître source et vivre en cohérence avec celle-ci, c’est aussi reconnaître que nous sommes tous par moments un peu ignorants, despotes ou mous. Et c’est en tentant de positionner son curseur au juste équilibre entre ces fragilités que la personne source est capable de libérer une énergie phénoménale dans son projet.
En guise de conclusion et de synthèse, nous avons vu dans ce premier article que la personne source est celle qui prend une initiative sur la base d’une idée qu’elle s’est appropriée, que les trois rôles de la personne source sont les rôles d’entrepreneur, de gardien et de guide et qu’elle doit faire face à trois problèmes majeurs: méconnaître sa source, confondre source et égo et négliger son travail de source.
Le prochain article résumera le deuxième chapitre du livre: Partager la source.